«Le regard politique envers les artistes doit évoluer. Et je vais encore plus loin, les artistes eux-mêmes ne connaissent pas leurs droits, et il est essentiel que la loi soit claire et accessible pour eux», indique Moncef Taleb.
Dans le paysage culturel tunisien, les artistes vivent dans une précarité inquiétante. Malgré leurs contributions immenses et leur rôle de porte-drapeaux de la Tunisie dans les festivals internationaux, ils peinent à gérer leur quotidien. «On ne peut pas créer quand on a faim», nous confie Moncef Taleb, cinéaste et producteur.
«Les succès artistiques en Tunisie sont souvent le fruit de persévérances individuelles sans véritables soutiens institutionnels, nous explique-t-il. L’industrie culturelle, en perpétuelle évolution, se heurte à des lois archaïques. Par exemple, filmer avec des drones en Tunisie reste un véritable casse-tête en raison des multiples autorisations requises». Pour Moncef Taleb, comme pour d’autres cinéastes, d’énormes barrières à la création sont à casser. Ainsi, à titre d’exemple, la production cinématographique étrangère en Tunisie est freinée par des lois qu’il juge «obsolètes». Les blocages administratifs, notamment de la Banque centrale de Tunisie (BCT), et une approche sécuritaire restrictive compliquent considérablement les tournages étrangers, privant la Tunisie d’une importante manne financière. Autre secteur complétement oublié par les institutions, le gaming peut se révéler très lucratif s’il n’est pas freiné par une bureaucratie qui plombe les initiatives. Le marché de l’art est aussi un secteur en détresse, et souffre lui aussi d’une oppression bureaucratique, mais également de l’insuffisance de l’enveloppe consacrée par le ministère de la Culture, aux achats des œuvres d’art. «Légalement, il est très difficile de justifier la vente d’un tableau à l’étranger, même son propre tableau !», nous rapporte Moncef Taleb.
Des artistes en détresse
Par ailleurs, sur le plan personnel, notre interlocuteur révèle que les artistes et les professionnels de la culture «sont plongés dans une insécurité financière et sociale». Derrière la façade de la célébrité, plusieurs artistes connus vivent dans la pauvreté. Leur fierté les empêche de quémander, mais certains ne percevraient en réalité qu’une «retraite honteuse variant entre 250 et 300 dinars». Beaucoup trop loin de ce qui pourrait assurer une vie décente. «La mutualité des artistes est financée à hauteur de moins de 300.000 dinars, une somme dérisoire face aux besoins réels», concède le producteur. Pour lui, la problématique réside dans le fait que le législateur tunisien ne reconnaît pas l’industrie culturelle à sa juste valeur. «Le regard politique envers les artistes doit évoluer. Et je vais encore plus loin, les artistes eux-mêmes ne connaissent pas leurs droits, et il est essentiel que la loi soit claire et accessible pour eux », indique Taleb. À l’assemblée des Représentants du Peuple, on ne chôme pas pourtant. En effet, la Commission du tourisme, de la culture, des services et de l’artisanat multiplie les audiences pour aboutir à une version finale du projet relatif au statut de l’artiste, à même d’être voté au parlement. C’est en tout cas ce qu’assure à La Presse, le président de la commission Yassine Mami.
Des auditions et une loi bientôt votée
Fin mai, la commission a auditionné le secrétaire général du Syndicat national indépendant des professionnels des arts dramatiques, la présidente de la Coopérative des artistes, la secrétaire générale du Syndicat de base des métiers des arts dramatiques et scéniques, ainsi que le président de l’Union des artistes plasticiens, sur le projet de loi enregistré sous le numéro 55/2023.
L’un des points cruciaux soulevés lors de cette audience, «la nécessité de prendre en considération la nature saisonnière du travail des artistes, qui peut les amener à travailler pendant une courte période puis à s’arrêter, ce qui les expose à des difficultés financières ayant des répercussions négatives, notamment en ce qui concerne la couverture sociale».
Contactée par téléphone, Dhouha Selmi, députée, membre de la Commission du tourisme, de la culture, des services et de l’artisanat, précise que les audiences sur ce projet de loi sont désormais presque terminées, et qu’il sera très prochainement soumis à l’approbation du bureau de l’assemblée, pour passer ensuite en plénière. Selon elle, le projet devrait passer sans encombre. « Pendant les prochaines audiences on devrait donner la parole aux mutuelles des artistes qui recoivent quotidiennement les dossiers de demandes d’aides. », ajoute Moncef Taleb.
Dans son article premier, les élus, initiateurs de cette proposition de loi, expliquent que le projet vise à «réglementer la situation juridique de l’artiste, organiser les professions artistiques et soutenir le droit à la création». En réalité, la commission se penche sur deux projets de loi, le premier est le Projet de loi n° 055/2023 relatif à «l’artiste et aux professions artistiques» et le second, relatif à l’industrie cinématographique, enregistré sous le numéro 03/2024. Pour ce dernier, les audiences n’ont pas encore commencé, mais devraient l’être très bientôt.